Le point de vue : “Concilier droits fondamentaux et droit coutumier : un enjeu vital pour la santé des femmes” par Danouchka ASSOUMOU
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Pour rendre efficaces les programmes de développement en matière de santé sexuelle et reproductive, les approches doivent intégrer le droit coutumier, au risque de laisser les coutumes néfastes prendre le pas sur les droits fondamentaux.
« Pour se réconcilier, on ne vient pas avec un couteau qui tranche, mais avec une aiguille qui coud. » Ce célèbre proverbe africain résume l’impératif de parvenir à une conciliation entre d’une part, l’ordre coutumier qui englobe les règles traditionnelles, auxquelles peuvent s’ajouter le droit musulman et d’autre part, le droit étatique qui comprend les règles dites modernes inspirées de la tradition occidentale. Parmi ces dernières, le droit à la santé est un droit fondamental qui peut être néanmoins malmené par certaines coutumes, surtout lorsque l’on parle des femmes. C’est pourquoi, sur le continent africain, la santé des femmes et des filles doit faire l’objet d’une attention particulière : dans de nombreuses sociétés, celles-ci sont désavantagées en raison de discriminations ancrées dans des facteurs socioculturels. Lorsque la coutume – qui peut être définie comme des règles de droits et de comportement, dont le caractère obligatoire est admis au sein d’un groupe social donné, notamment parce qu’elles se perpétuent de génération en génération – s’oppose à l’émanation du droit étatique qu’est le droit à la santé, se mettent en place différents schémas d’articulation : procédé de séparation, de subordination, d’intégration et de coordination.
Subordination de façade
Le schéma le plus néfaste pour la promotion des droits fondamentaux en Afrique est celui de la séparation car le plus souvent, l’inadéquation entre le droit voulu par l’État et le droit vécu par la majorité de la population se solde par une victoire du deuxième sur le premier. La coutume, plus ancienne et plus ancrée dans les pratiques, paraît plus légitime aux yeux de ses pratiquants. Par ailleurs, au sein des constitutions africaines, de nombreux États reconnaissent les droits coutumiers. En principe, cette reconnaissance est subordonnée au respect des droits fondamentaux dont jouissent les populations. Le protocole de Maputo, adopté par l’Union africaine le 11 juillet 2003, en est un exemple : il comporte des principes directeurs visant à mettre fin aux pratiques traditionnelles telles que les mutilations génitales féminines, considérées comme préjudiciables à la santé des femmes et des filles. Mais dans la réalité, les pratiques traditionnelles persistent comme l’illustrent les chiffres records d’excision en Guinée Conakry, avec 96% des femmes âgées de 15 à 49 ans touchées par l’excision, soit le deuxième taux le plus fort après la Somalie. Cette situation tient en partie au manque d’implication des autorisés dans la vulgarisation de ces droits et la sensibilisation des populations, notamment rurales.
Vers une conciliation ?
Cette prévalence du droit coutumier oblige les approches de développement en matière de santé à prendre en compte les modes de vie, les attitudes, les croyances et les pratiques traditionnelles qui forment la base de la perception d’une communauté. Là où jusqu’ici, les approches de développement – et en particulier pour la santé sexuelle et reproductive dans le cas de l’Afrique subsaharienne – n’ont pas eu les effets escomptés, cette voie offre des leviers potentiellement plus efficaces, d’autant que toutes les pratiques traditionnelles ne sont pas forcément nuisibles à la santé. L’OMS reconnaît que la médecine traditionnelle, complémentaire et alternative recèle de nombreux bienfaits. L’Afrique a d’ailleurs une longue histoire de médecine traditionnelle et de tradipraticiens de santé qui jouent un rôle important dans les soins aux populations.
En l’occurrence, le Programme commun OMD-F pour le renforcement des industries culturelles et créatives et des politiques inclusives au Mozambique, l’UNESCO et le Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population (FNUAP) s’emploient à promouvoir une plus grande intégration fondée sur la culture, le genre et les droits humains. Dans la pratique, cela passe par l’utilisation des coutumes et des traditions mozambicaines pour améliorer les pratiques de santé sexuelle et reproductive, en s’appuyant sur l’aide des guérisseurs traditionnels, en promouvant le dialogue, la participation communautaire, la collaboration et le respect mutuel. Financé par le F-OMD, ce programme est une illustration concrète du juste équilibre à la fois pour les pratiquants des coutumes, mais aussi pour la promotion des droits fondamentaux.
Danouchka ASSOUMOU,
Doctorante en droit comparé, chargée de travaux dirigés en droit public au Panthéon Sorbonne, Membre de Les Afriques vous parlent (LAVP)